« Dix heures d’avion, puis dix autres de bus, encore étourdi par le choc des roues sur le tarmac. Encore si plein de la torpeur humide de la côte Colombienne et déjà de retour dans mon Sud-Ouest familial, les sens en alerte, assaillis par les bruits et des odeurs familiers mais différents… comme au premier jour là-bas.

Je reviens d’un an comme coordinateur de projets, dans une fondation dédiée à l’éducation populaire tout juste remontée par les jésuites. Et aussi d’un an à batailler pied à pied avec ma petite équipe, dans ce quartier vulnérable auprès d’une population afro descendante, accouchée des déplacements contraints, migrants « de l’intérieur », chez eux sans y être complètement, accueillant pourtant en leur sein de nouveaux venus du Venezuela ou d’ailleurs.

C’est le moment de tirer les fruits et les leçons de cet engagement intense, cette jungle d’émotions et d’apprentissages.

J’y vais pas à pas : retrouver ma famille, mes amis, les anciens collègues… Puis debriefing avec l’équipe d’Inigo et excellente « session retour » avec leur partenaire, La Guilde du Raid. Et enfin, préparer la suite.

Que fut cette année ? Certainement pas une « expérience » isolée du reste de ma vie. Me viennent deux mots à l’esprit : un défi, et un contact.

Une mission-défi : celui de trouver ma place dans un projet et mes mots dans une langue, d’être accueilli dans une culture, une communauté jésuite, une Eglise locale. Puis vient le défi d’ouvrir la voie à des projets-pilotes, puisque c’est pour ça que je suis là. Comment négocie-t-on avec un partenaire pour intégrer un savoir-faire ? Comment recrute-t-on en Colombie ? Et comment entre-t-on dans un bidonville quand on y est un parfait étranger ? Voilà quelques-uns des défis quotidiens, si normaux là-bas, si disproportionnés pour moi. Quel défi, cette confiance que me font les jésuites, pour transformer une idée en réalité !

Une mission-contact : c’est peut-être le défi le plus grand. Dans le bidonville, je vais rencontrer une communauté qui a ses propres repères, ses leaders, et même son argot ! Je peux être témoin de leurs problèmes, leurs espoirs, leurs histoires et leur foi. Je coordonne un diagnostic terrain avec les partenaires le matin, et l’après-midi vais jouer avec des enfants dans la rue, puis écouter la rumeur qui monte à mesure que la confiance se noue. Dans l’unique pièce sous le toit de tôle, la grand-mère me raconte en gardant l’œil sur son petit-fils et les mototaxis qui passent prudemment. Un règlement de comptes cette nuit, un jeune disparu, une femme qui envoie les filles le soir dans le quartier touristique… Je sors sous le soleil de plomb et me dirige vers le siège de la fondation. Le voisin me montre les trous de son toit percé par les pierres des bandes qui s’affrontent la nuit ou quand il pleut.

Hors du bidonville, c’est une vie de bureau : je travaille avec les jésuites colombiens, les partenaires locaux, les bailleurs de fonds. C’est encore un lieu de contact, un entre-deux-mondes, une approche du travail où l’individualisme urbain d’une ville d’1.3 millions d’habitants, entre en collision avec le désir d’une culture commune, d’un projet qui fasse vibrer cette équipe encore essoufflée par la pandémie.

De cette pâte humaine sont nés des programmes d’éducation positive pour les mères de famille, de leadership pour les jeunes, et d’éducation critique pour les enfants. Tout n’a pas parfaitement décollé, on évalue encore les résultats. Je jongle avec les indicateurs, les millions de pesos colombiens, et les données collectées : pauvre formalisation de tant d’efforts et de progrès obtenus contre la violence, pour ouvrir un nouvel avenir à ces jeunes… la Fondation suit son chemin et moi le mien.

Je rentre chez moi, mais pas après « une expérience », comme une parenthèse. Je me suis exposé avec les jésuites aux marges de l’Eglise. Et j’ai été bousculé, mis au défi, au contact, de ces gens et de leur foi pauvre et vive. Je n’ai aucune illusion ou romantisme sur cette « foi du charbonnier », où Dieu ressemble beaucoup à un tyran qui punit et récompense. Mais Dieu Lui-même y est présent au quotidien ! Et dans cette étonnante et vive Colombie, de multiples catéchistes, ministres de la communion, sœurs consacrées, laïcs entreprenants, et autres jésuites, se démènent à son service.

Le contact avec les pauvres m’a permis de revenir avec plus de clarté sur ce qui compte pour moi, ce que je veux faire, jusque dans mes choix au quotidien. Je distingue avec plus d’acuité l’essentiel de l’accessoire, et Dieu prend sa place au centre de ma vie, sans compromis.

Inigo, m’a fait confiance, et avec eux, j’ai gagné en confiance en moi. Grâce à ce volontariat Inigo, je me suis découvert une personnalité d’entrepreneur social, et la confiance pour me lancer. Je souhaite à beaucoup d’autres de se lancer à leur tour avec Inigo, dans ce grand écart des cultures, et de contribuer aux missions partout dans le monde ! »

Alban