« Tout au long du périple, il y aura les gués et leurs combats, des chemins de traverse dont on ne sait de suite s’ils sont détours, retours ou échappées – mais pareils entrecroisements dessinent peu à peu la plénitude d’un itinéraire ». Ces mots écrits par François-Xavier à Ignace de Loyola le 18 mars 1541 à Lisbonne disent une réalité qui, des siècles après, gardent leur profonde actualité à mes yeux.
Le 16 septembre 2017, j’ai quitté Paris –après des « au revoir » émouvants et un peu irréalistes. Je me souviens de ce sentiment de déracinement que j’ai éprouvé dans l’avion qui m’emmenait à Lima. Au-dessus de l’immensité, je me suis alors demandée si cet acte relevait du courage ou de la folie. Aujourd’hui, 29 janvier 2018, fraîchement rentrée de Lima et de retour dans ma petite ville de Tacna située dans le désert d’Atacama, je peux vous dire que j’ai planté ma tente ici et que je suis heureuse. Je crois que ma joie la plus profonde aujourd’hui vient du fait d’avoir les deux pieds sur cette terre aride et rocailleuse. Je ne suis plus dans la posture de l’équilibriste qui caractérise le volontaire les premiers temps. Je ne suis plus dans le temps linéaire de la découverte et de l’émerveillement premier mais dans le temps cyclique du quotidien. Chacun a ses charmes : le premier a pour avantage la nouveauté et l’énergie nouvelle qui jaillit sans cesse, bien nécessaire pour s’adapter, le second permet de gagner en conscience et nous invite à vivre l’humilité là où l’on prend conscience que les combats intérieurs sont toujours les mêmes. C’est aussi le temps de reconnaître les limites et les pauvretés de notre être face à une culture et une société, qui complètement autre, nous devient peu à peu familière même si elle nous dépassera toujours.

Cimetière de Tacna

Cimetière de Tacna

Bricolage de Noël

Bricolage de Noël

Alors me voilà, vivant et travaillant entre le marché et le cimetière, au centre Cristo Rey pour les enfants et les adolescents. L’institution, d’origine jésuite, offre à une population juvénile plutôt vulnérable des programmes sociaux nombreux et variés. De mon côté, je travaille dans l’équipe de familles qui s’occupe d’assurer la continuité entre le travail social que l’on peut réaliser auprès des enfants et les parents. Ce programme assure également un accompagnement des mamans adolescentes qui sont souvent dans des situations très précaires. Je me souviens d’une visite domiciliaire que j’ai faite au début de ma mission, quand j’avais encore du mal à saisir toutes les nuances de la langue. Je m’étais rendue à l’hôpital de Tacna avec Kelly, qui faisait son stage pour devenir travailleuse sociale, pour rencontrer une maman adolescente de 16 ans dont le bébé de trois mois est atteint d’une grave maladie. Kelly a alors posé des questions à la maman pour savoir comment elle allait car l’enfant venait de subir une opération. Je suis restée silencieuse pendant deux heures et ai tenté de comprendre leur échange. Même si je n’avais pas saisi tous les propos, j’avais capté toutes les émotions : la peur, la tristesse, l’inquiétude et son état d’épuisement. En effet, cette jeune maman a dû faire face quasiment seule à la maladie de son enfant alors qu’elle se trouve elle-même dans une situation de grande précarité. Par ailleurs, elle n’avait pas le soutien ni du papa, ni de sa « belle-mère » qui souhaitaient qu’elle fasse adopter l’enfant. J’ai assisté à des échanges téléphoniques très durs entre la jeune maman et la belle-mère. Je me suis sentie démunie car je n’étais pas assez à l’aise dans sa langue pour la réconforter. Moi qui avais l’habitude de mettre des mots sur mes émotions pour que celles-ci ne me submergent pas, ce fut très difficile à ce moment-là car je ne pouvais pas recourir à ma plus grande ressource : la parole. Mais ce sont aussi des expériences comme celle-ci qui en venant interroger notre manière de vivre et de voir les choses, nous transforment doucement.
Mes après-midis sont dédiées aux enfants des casitas qui sont des ludothèques situées dans les périphéries de Tacna. Avec Shannon, volontaire américaine, et Jimena, jeune professeur d’espagnol, nous imaginons alors des travaux manuels pour les enfants. Tout est bon pour créer, croyez-moi. Les rouleaux de papiers hygiéniques sont bien sûr au cœur de la fête car ils se font piliers de la création. Ils sont un peu à notre travail de ce que l’huile d’olive est à la cuisine : indispensable. Un peu de papiers, de feutres, de colle et en quelques coups de ciseaux, un véritable zoo animal prend vie. Puis il est temps de se dépenser. Jeux de ballon et histoires racontées viennent alors structurer ce second temps passé dehors. Le secret de ma joie se trouve dans le dernier moment de la journée. Non pas seulement parce que la file d’enfants qui se forme signifie que j’ai fini ma journée mais parce que je vais avoir 50 bisous et câlins. Mon petit Péruvien n’est pas comme le petit Français qui tend la joue de façon passive, oh non, il ouvre ses bras et se soulève de tout son corps pour m’embrasser. Voilà le cœur de ma mission.

Fête de Noël

Fête de Noël avec tous les enfants du centre

Si les difficultés, les chocs et les combats qui peuvent surgir et parfois s’installer nécessitent un cœur doux et patient, ce cœur parfois éprouvé trouve son réconfort dans les rencontres faites et les amitiés nouées. C’est à travers la danse traditionnelle, la cuisine, le sport, les débats culturels en tout genre, la musique, les films, les excursions et la foi que ces amitiés madrilène, américaine, française et péruvienne jaillissent et prennent forme au milieu des rires, des joies et des peines. C’est d’abord et avant tout, au cœur de ces rencontres, que mon itinéraire péruvien prend sens.
Alors je vous confie le cœur de tous les volontaires actuellement en mission et plus particulièrement celui d’une madrilène et d’une parisienne qui vivant ensemble se laissent toucher par la culture péruvienne, par ses trésors et ses paradoxes.

Esto es lo que intentamos hacer

plantamos semillas que un día crecerán,

regamos semillas ya plantadas,

sabiendo que son promesas de futuro

-Oración atribuida a Oscar Romero-